Carmen Perrin

Si près si loin

Cette intervention artistique propose une mise en relation entre un élément de l'architecture du parc avec de multiples qualités du contexte paysager. A travers cette articulation «in situ» entre le miroir et un fragment du mur qui relie et sépare le parc du lac Léman, l'oeuvre d'art n'est plus quelque chose à regarder, mais quelque chose d'où regarder des dimensions et des qualités du contexte, qui perturbent nos habitudes optiques et notre relation avec le réel. Le miroir, ce matériau/outil, sert à révéler les innombrables effets d'optique que la lumière permet. Il suffit d'ouvrir ses yeux, de chercher les points d'appui pour faire ricocher les rayons de lumière et de laisser jouer l'interaction des forces.

Carmen Perrin 2021

Nuée d'Iris

Ce projet de réhabilitation et d'extension de l'immeuble situé au 25 rue de Tolbiac comporte un mur mitoyen de 9 étages, composée d'un assemblage de briques de verre de forme carrée. Le but de ce geste architectural étant de laisser passer le plus de lumière naturelle à l'intérieur du bâtiment, il m'a paru évident de ne pas intervenir sur la surfaces des briques de verre mais de travailler sur l’épaisseur de cette peau lumineuse. Depuis presque 30 ans, la référence à la lumière naturelle est au coeur de mes interventions dans des contextes architecturaux et des sites paysagers. Mes recherches s'inscrivant essentiellement dans un langage sculptural, ce qui m'intéresse, c'est de mettre en relation les qualités d'un matériau avec la transformation continue de la lumière sur un site.

L'objet premier de cette intervention est une mise en relation physique et optique entre la façade en verre et la lumière naturelle. La présence d'un écran composé de 13'500 briques de verre a éveillé dans mon imaginaire la représentation d'une image pixelisée, articulée avec le prisme en verre qu'Isaac Newton a expérimenté en 1666. Lorsqu'un rayon du soleil passe au travers d'un prisme, il se décompose et fait apparaître les couleurs de l'arc-en-ciel, ces couleurs étant propres à la lumière et non au prisme en verre qui la décompose. De cette expérience, Isaac Newton a retenu sept couleurs: rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo et violet. Au moyen des 30 couleurs que j'ai choisies pour ce projet, je n'ai fait qu'amplifier le dégradé qui décline ces nuances, afin que l'intensité de la couleur déposée, permette à l'oeil de les capter comme un ensemble homogène, qui éveille en nous la sensation d'une transformation presque imperceptible, mais continue, selon le point de vue du spectateur, selon l'intensité de lumière présente sur le site et selon les saisons, les interférences lumineuses du soir ou de la nuit. C'est là que s'articule le travail de la sculpture, à travers une mise en relation entre l'alignement orthogonal de l'assemblage des briques et le déploiement de la couleur suivant méticuleusement la progression des sections triangulaires propres au cercle chromatique.

Cette oeuvre, monumentale, «respire» selon le rythme de l'intensité de la lumière sur le site, selon les interférences liées à la transparence du verre qui révèle la couleur et qui parfois la met en concurrence avec d'autres reflets. Depuis la rue, une sensation d'ensemble homogène s'impose à la vue, alors que depuis l'intérieur, sur chaque étage du bâtiment, les usagers ont une expérience visuelle et sensuelle par «coupes horizontales» d'une répartition apparemment aléatoire des couleurs.

Carmen Perrin, 2020

Même les maisons attrapent la coqueluche

A la maison Clarté, la cage d’escalier est un vaste puits de lumière qui a inspiré Carmen Perrin. Son œuvre, sous la forme de lettres-miroirs, l’artiste suisse l’a habilement installée dans les interstices de la structure métallique. Le tout forme une phrase, dont on découvre un fragment à chaque étage, racontant l’architecture comme un organisme vivant. Un hommage au maître des lieux, qui disait de ses maisons qu’elles pouvaient tomber malades. Pour l’artiste, l’idée était d’établir un vrai dialogue entre l’œuvre et son environnement. «Je n’ai pas hésité une seconde lorsqu’on m’a proposé d’exposer ici. Contrairement aux salles de musée classiques, on rencontre les gens dans leur contexte, ça crée un moment particulier.»

Le Temps, A Genève, l’art contemporain in situ, juin 2017

Lignes de forces

L'intervention consiste à appliquer sur le sol de la salle d’exposition le motif d’une double spirale, réalisée avec une pellicule autocollante miroir de 15 cm de large. J’utilise ce matériau extrêmement mince pour réagir à l’amplitude de la voûte et aux ouvertures qui ont pu être réalisées par l’étonnante performance technique réinventée dans la conception de cette architecture en béton par Heinz Isler dans les années 60.

Le motif de la double spirale fait référence à la spire qui développe et enveloppe certains coquillages, comme par exemple les coquilles de nautiles, mais elle évoque également l’annonce faite le 11 février 2016 de la détection des ondes gravitationnelles, provenant de la collision titanesque entre deux trous noirs et provoquant des ondulations de l’espace-temps. En une fraction de seconde, les trous noir entrent en collision à une vitesse de l’ordre de la moitie de celle de la lumière et fusionnent en un trou noir unique. Celui-ci est plus léger que la somme des deux trous noirs initiaux, car une partie de leur masse (ici l’équivalent de trois soleils, soit une énergie colossale) s’est convertie en ondes gravitationnelles selon la célèbre formule de Albert Einstein E=mc2. La double spirale commence autour d’un point reporté au sol, à partir du centre de la coupole en résine translucide qui perce le plafond. Mais la configuration de la coque du Pavillon Sicli n’a pas, dans son ensemble, un centre. Ses arrondis s’ouvrent et se déplient vers la ville par des trouées, dont les plus amples forment des arches. La réverbération des quatre baies vitrées de cet espace d’exposition sur le matériau miroitant donne à voir, à l’échelle 1:1, une réminiscence de la maquette inversée du pavillon, qui a servi à l’ingénieur pour chercher la bonne forme dans la tension naturelle du matériau. Je voulais répondre à l’espace que délimite la voûte par une nappe, dont la fonction serait de capter la lumière et les formes qui permettent à la lumière de pénétrer. Mais je voulais également que ce support adhère au sol comme une flaque d’eau, sans presque n’imposer au regard aucune épaisseur. Cette pellicule autocollante adhère si fermement au sol qu’elle met en évidence toutes les aspérités et accidents du béton, ainsi que les traces de sa mise en oeuvre.

Je rends hommage à cette forme libre qui développe un dedans selon un dehors. Je rends hommage a une démarche exigeante, attentive aux découvertes de son époque et à la nécessité de les confronter à son savoir-faire. A cet ingénieur qui a su prendre le risque d’articuler simultanément la connaissance scientifique et technique avec une dimension expérimentale pour se donner les moyens de créer une nouvelle approche organique de la voûte.

Carmen Perrin, juin 2016