Philippe Maurice

UTOPIA

Pour Philippe Maurice, peindre consiste à entrer en conversation avec la matière en exploitant les traces qu’elle laisse sur la toile.

Cela commence par une tache, un univers en soi.

Et puis une autre, et encore une… Elles se recouvrent, se superposent, s’imbriquent les unes les autres, deviennent des formes qui, tantôt lourdes de peinture, tantôt légères et fluides, créent un ensemble né de l’imprévu.

Le chaos s’organise, une harmonie s’en dégage et dessine, au fur et à mesure qu’elle se matérialise, un espace pictural riche de sens.

Naissent alors des moments de vie qui construisent un récit, un temps de promenade, de rencontres.

La mise en place est purement abstraite, mais dès lors que des formes proches de la figuration se présentent, que se créent une profondeur, une atmosphère, il est possible d’y entrevoir la représentation d’un espace naturel.

Cette peinture est-elle pour autant une peinture de paysage? Non. Elle s’inscrit davantage dans l’esprit de l’abstraction de Zao Wou-Ki. Celui-ci préférait parler de nature plutôt que de paysages, car si parfois on a le sentiment d’y découvrir des parcelles de réalisme, il n’y a rien en elle qui corresponde à une réalité concrète et observable. Et pourtant, il y a bien un monde sous nos yeux.

Ce monde, cette utopie émanent d’une quête de douceur et de lumière. Puisque nous sommes conditionnés par notre environnement, Philippe Maurice fabrique le sien avec la volonté d’échapper à la violence de nos sociétés. Il nous offre une peinture pour l’âme, un temps de pause et de réconfort.

Natasha Caillot
Commissaire d’expositions, rédactrice en chef 7000 Art Magazine

Conscience: Peintre au vingt-et-unième siècle

Le véritable but de l’art n’est pas de marquer le temps, le temps n’existe pas. Tout est éphémère à plus ou moins longue échéance.
Le véritable but de l’art et de la vie est de nourrir notre conscience, notre être.
De même que le temps, la matière n’existe pas non plus, elle n’est qu’une illusion puisqu’elle est condamnée à se transformer donc à disparaitre sous sa forme actuelle. Tout n’est donc que vanité, tout sauf cette énergie qui nous constitue, nous et l’ensemble des univers.
Cette énergie, éternelle, toujours en mouvement, lumineuse, nous pouvons l’appeler ion, atome, particule ou pour conserver un peu de notre humanité, âme. Car il faut bien croire qu’elle existe sous peine de sombrer dans la folie…
L’art est le miroir qui amène à la conscience de soi, la vie dont il faut faire grandir l’étincelle, afin de rendre à cette vie un feu plus grand que celui qui nous a été donné.
Pour cela il faut d’abord accepter de se faire face, accepter la solitude comme un cadeau, découvrir les peurs qui nous animent et nous freinent, les comprendre.
L’art ne souffre d’aucune hésitation, il oblige à agir, à choisir constamment une direction, une voie, un point de vue.
Parmi tous les médiums possibles, la peinture est pour moi l’un des plus sensibles. Elle s’adresse à l’âme, à la mémoire archaïque, refuse les gesticulations inutiles, impose de prendre le temps de regarder, de s’interroger, de comprendre.
Le peintre doit continuellement se réinventer, se développer autour d’un échange avec la matière, établir une conversation entre sa volonté d’imposer une idée préalablement définie et la peinture qui résiste à cette idée pour n’exprimer que sa matérialité.
C’est cette peinture et sa capacité expérimentale qui se sont imposées, à moi.
La première étape est charnelle. Etaler de la peinture, qu’importe le sujet, peindre des taches, des couleurs, de la lumière, de la matière, des formes, étaler de la peinture encore et encore. Les formes apparaissent, « je ne cherche pas je trouve » disait Picasso, c’est juste ludique, jouissif, du plaisir à l’état brut, une drogue surpuissante.
La seconde étape est plus ardue. Matière et conscience sont les outils du peintre. Le travail est long pour décortiquer la pensée et atteindre l’essence de notre être, mais si cela arrive alors, parfois, la matière se met au service de cette inconsciente mémoire collective et transcende l’individu pour exprimer des sentiments universels et rendre visible une réalité qui ne l’est pas.
Rendre visible l’invisible, voilà ce qui m’anime. Une expérience intime, une quête du « moi » et de mon humanité, retranscrite, matérialisée à l’aide de cette pâte colorée.
La vie est une quête de sens, de compréhension et de conscience, et l’art est dans cette quête un outil essentiel de partage et d’enrichissement.
Ma peinture s’est construite sur le sensible et avec la conscience d’appartenir à un ensemble d’êtres qui, à travers l’histoire, poursuivent un travail nécessaire à notre humanité.
L’art est un reflet de ce que nous sommes, ensemble. La peinture aujourd’hui, a la capacité d’être l’une des rares expressions poétiques et philosophiques dans notre société.
C’est en cela qu’elle m’est essentielle.

Philippe Maurice, Genève 2018