Julia Steiner

À l’approche de l’image, un monde à soi silencieusement se dévoile. Profond, il émane des formes et des taches de couleur noire, déposées sur la surface légèrement granulée du papier. Faire sentir, rougir. La gouache est au bout des poils du pinceau, par touche, elle touche la feuille et la tache de souvenirs, d’évocations oniriques ou de désirs en devenir. Elle forme un halo de matière à dessiner et attire le regard en un lieu et un temps, où une sensation de présence se fait sentir. Une sorte de rendez-vous qui s’approfondit pas à pas, feuille par feuille. La lecture est sensorielle, elle fait plonger, elle fait attendre.

  • ”Où me mènes-tu ?”
  • ”Suis- moi !”
    Un dialogue que j’imagine lorsque je pense au travail de Julia Steiner. Le face à face que je me figure, alors que l’artiste est posée devant ce grand papier blanc, libre sur le mur. Elle mène son bal et, confiante, pose son regard du monde sur l’étendue du papier. Grandeur nature. Elle emploie la peinture fraîchement sortie du tube, formant vagues, embruns et brume, sans l’aide d’une seule goutte d’eau.
    C’est magique, mystérieux, dense, étrange. L’artiste interroge notre perception, du chaud, du froid, du vent rentré par la fenêtre sans vitre, des contrées abyssales, de ses inventaires nocturnes, l’œil humide du cheval, de ces êtres de dos qui semblent oublier le temps qui passe. Non qu’il se soit figé, mais plus tôt suspendu dans son propre espace, univoque et discret.
Florance Plojoux

Lauréate du Prix culturel Manor pour le canton de Berne en 2011, Julia Steiner béneficie à ce titre d’une exposition monographique au Centre PasquArt à Bienne... Julia Steiner travaille exclusivement au moyen de gouache sur de grands papiers, en noir et blanc. D’où l’impression de photographie, mais d’une photographie bougée, ou plutôt d’un sujet mouvant, dynamique. Sujet quasiment abstrait d’ailleurs, les peintures évoquant des algues, des végétaux,coulant, explosant, tourbillonnant. L’exposition est d’une manière un peu paradoxale intitulée Kaleidoskop: ce titre évoque bien sûr un certain éclatement de l’image, mais rares sont les kaléidoscopes privés de couleur...

Laurence Chauvy, extrait de l’article Le long chemin humide des peintres, Le temps, Mars-Avril 2011

Panégyrique

Du point de vue de leur atmosphère, les mondes dessinés par Julia Steiner oscillent entre des ambiances paradisiaques et apocalyptiques. Ainsi l’œuvre intitulée «Frühstück auf dem Rock» fait-elle penser, de par son caractère féérique, à des images de livre de contes, alors que «Fossil» est sous-tendu par une énergie fantasmagorique et noire, évoquant les films ou illustrations fantastiques. On trouve cependant aussi dans le langage graphique de Julia Steiner des références formelles à l’impressionisme français, notamment à Edgar Degas ou à Odilon Redon.
En même temps, ses tableaux sont solidement ancrés dans une esthétique photographique contemporaine, ce qui s’exprime dans les cadrages, dans les contrastes entre contours nets et flous, dans le gel des mouvements. L’artiste joue sur différents registres et parvient, ce faisant, à un langage graphique propre, singulier même, avec lequel elle établit une analogie entre le déchaînement formel de ses œuvres et celui de leur contenu. Les thèmes des dessins de Julia Steiner sont difficiles à saisir, ils échappent à une dénomination claire. Ce sont des superpositions de différents motifs. L’artiste parle elle-même de «bribes d’histoires» qui «s’insurgent contre la mise en rang», ou de «pensées hachées». Ainsi ses tableaux sont-ils des condensations de fragments de vécu et de rêve, de pressentiment et de souvenir, de ressenti et d’inconscient – autant d’aspects qu’elle rassemble avec une grande force artistique.

Madeleine Schuppli, directrice du Musée des Beaux-Arts de Thoune