Leo Zogmayer

Why China ?

Depuis ses débuts, la culture chinoise procéda autrement que le reste du monde : la Chine ne créa pas de mythe d’origine et, initialement, ne connaissait ni le théâtre ni d’autres structures narratives marquantes ; elle ne développa pas de fantaisies théistes, aucune chronologie dominante, pas d’histoire dans notre sens, pas de tradition mimétique, pas d’ontologie … Par conséquent, la pensée et l’action chinoises ne résultent pas d’une idée ou d’un plan, mais s’orientent à la réalité même. On observe le penchant des choses en profitant du potentiel de la situation. Toute action est immédiate et prend en compte l’état actuel de la réalité, et non pas des modèles prédéfinis ou encore des dogmes. L’Occident apprend à connaître la formule magique qui correspond à cette conception : wu wei, le non-agir, préconise de se laisser emporter par le courant au lieu de s’obstiner à suivre des plans ou des concepts qui, de toute façon, ne peuvent pas s’adapter au véritable cours de la vie. La formule chinoise entière s’appelle wu wei er wu bu wei – ne pas agir, pour que tout soit fait ! L’efficacité qui en résulte est souvent supérieure à l’intentionnalité et à la logistique occidentales.
Un moment donné, en parlant avec des amis asiatiques, j’ai remarqué une affinité qui, tout d’abord, semble paradoxale : la Chine et l’art (contemporain) sont des parents proches ; l’art n’argumente pas, n’analyse pas – elle (dé)montre ! L’art ne suit pas de grammaire supérieure et contraignante. Comparées aux discours conceptuels, ses énonciations sont souvent souples et imprécises, comme dans la langue chinoise ! Le chinois ne connaissant pratiquement pas de syntaxe, il paraît beaucoup plus ouvert, plus ludique, plus fluide que les langues occidentales. Une chose, par exemple, dong xi en chinois, se retraduit Est-Ouest. Cette chose-ci n’est pas un objet aux contours nets, tranchants, se limitant à ses extrémités. Au contraire, elle n’a presque pas de substance. Cette chose, toute chose, tout aspect de la réalité est considéré plutôt comme un processus, un mouvement, un potentiel ouvert. 
Ceci promet une efficacité élevée et … de la poésie, même dans les moments profanes de la vie quotidienne. La pensée visuelle chinoise est malléable, ouverte et moulante. Ce qui est incompréhensible aux yeux de l’Occident, c’est que l’art Chinois a même le droit d’être fade. Un critique littéraire a écrit ceci : Une fois de plus on constate qu’il est des plus difficiles de composer un poème plat et fade. L’œuvre d’art discrète, " fade ", n’anticipe pas le va-et-vient de la vie ; elle ne se plaît pas dans des mises en scène qui s’imposent devant la réalité, pour la dépasser ou pour la couvrir, au contraire, elle s’ouvre au réel. En définitive, ne faut-il pas s’interroger si l’art voile le monde – ce qui serait son échec – ou s’il le laisse seulement libre ? C’est là que se croisent les visions de l’Extrême-Orient et de l’Occident.
Leo Zogmayer

Why China ? Parce que l’art et la Chine sont des frères siamois, en quelque sorte.
 
PS : Je suis loin de prétendre que mes observations coïncident toujours avec ce qui se passe actuellement en Chine. Pour moi, la Chine est plutôt une métaphore pour décrire une position, une mentalité qui n’est point limitée à l’Extrême-Orient. En outre, l’affinité surprenante entre le regard chinois et le celui de l’art (contemporain?) me plaît. Sans doute, risquer un regard " à la chinoise " s’avérerait productif : faire " un détour par la Chine ", tel que le préconise le philosophe français François Jullien, avant que les Chinois aient oublié ce qui les a rendus aussi flexibles, productives, sereins, insaisissables et rusés.