Ladina Gaudenz // Exposition « Prüma-Vaira »

Point n’est besoin de chercher longtemps dans l’histoire de l’art pour se rendre compte de l’importance du rôle de la nature dans la création artistique. Dans l’antiquité, Zeuxis aurait reproduit de façon si fidèle des raisins que des oiseaux voulaient les picorer. Mais ces derniers iraient-ils pour autant se poser dans les branches des cerisiers peints par Ladina Gaudenz ? Là n’est pas le défi du travail. L’hyperréalisme a fait ses preuves il y a quarante ans en rivalité directe avec la photographie. La mimèsis pratiquée chez l’artiste originaire des Grisons relève
en effet d’une approche plus sensorielle que littérale. En se référant à la nature, en s’en inspirant, et en l’interprétant, elle génère une forme de réalité ajoutée. C’est ainsi que la recherche d’expression et d’émotion guide ses pinceaux gourmands dans un jeu d’aller-retour entre nature et peinture. Ode au printemps (Prüma-vaira en romanche), saison des cerisiers, ce travail tente de saisir le côté éphémère d’une période de l’année qui commence et se termine toujours plus tôt. Sans affubler son travail de signes alarmistes, Ladina Gaudenz évoque la situation préoccupante de notre monde déstabilisé notamment par un chamboulement des saisons : « L’été grignote le printemps et l’automne, la nature est sous stress », précise celle qui n’a jamais cessé de regarder la nature, de s’y promener et de s’y ressourcer.
Devant le constat de cette « accélération », le besoin de printemps est crucial. Les toiles tirent leur force de ce moment printanier furtif dont il faut savoir profiter. « On ne voit pas deux fois le même cerisier, ni la même lune découpant un pin. Tout moment est dernier, parce qu’il est unique. Chez le voyageur cette perception s’aiguise par l’absence des routines fallacieusement rassurantes propres au sédentaire, qui font croire que l’existence pour un temps restera ce qu’elle est », pour reprendre les termes de Marguerite Yourcenar. Ladina Gaudenz s’appuie sur des photographies prises l’an dernier pour créer un bouquet de cerisiers qu’elle s’empressera de découvrir bientôt au Japon. Dans cette attente, elle
s’approche du sujet à la manière d’un insecte et nous fait entrer dans des méandres de couleurs insoupçonnés : « J’aime ce genre de transformations où la nature prend une autre
dimension devant nous. » Si le saut d’échelle avait déjà été pratiqué dans des compositions précédentes, le ton est moins surréaliste qu’il n’a pu l’être dans d’autres séries. Quant au traitement stylistique, il oscille entre le flouté d’avant 2007 et les lignes plus contrastées apparues ensuite. Comme si la nature amorçait des dynamiques nouvelles selon les flux d’une lumière traitée parfois jusqu’à l’éblouissement.

Karine Tissot